Grand Corps Malade et Richard Bohringer - Course contre la honte
Dans le quatrième album de Grand Corps Malade, "Funambule", figure un duo inattendu : Richard Bohringer et le slameur de 36 ans parlent ensemble de l'avenir sur le titre "Course contre la honte". En partenariat avec Believe Recordings, Richard Bohringer raconte les coulisses de son expérience, et en profite pour répondre aux critiques.
Grand Corps Malade, je le trouve épatant. C'est un humain tout à fait magnifique, un type qui dit des mots qui sont beaux. J'ai beaucoup d'estime pour lui, on est ensemble sur des projets. J'aime beaucoup son humanité. Ça fait maintenant depuis 2007 qu'on se connaît, et on voulait faire quelque chose ensemble.
Un duo spontané et simple
Pour ce titre "Course contre la honte", les choses se sont faites comme ça, au feeling. Moi, dans cette chanson, je suis celui qui pense que tout n'est pas perdu. Fabien a écrit le texte du jeune et moi de l'ancien, qui tente encore une fois de donner du courage, de parler des possibilités d'avenir.
C'est un truc tout simple qu'on a fait, comme à chaque fois avec Grand Corps Malade, de toute façon. Il a d'abord fait son texte et ensuite il me l'a envoyé, et tous les jours j'écrivais un peu dessus.
Un titre qui n'a pas été réfléchi
"Course contre la honte" n'a pas été fait en pensant à quelque chose. "Funambule" non plus. Fabien est un homme pur, c'est quelqu'un de très impliqué. On ne le voit jamais dans les journaux. Je ne vais trop en dire parce qu'il m'en voudrait certainement, mais il fait plein de choses pour les autres, il s'implique beaucoup.
C'est un homme de cœur, sincère. Il est toujours vachement ébloui par ce qui lui est arrivé. Il est toujours aussi neuf. C'est un type rare. Avec lui tout est possible.
Des critiques qui ne veulent rien dire
Après, évidemment, il y a toujours des gens pour critiquer. On trouvera toujours des gens pour dire que Grand Corps Malade fait "du Grand Corps Malade". Mais qu'est-ce qu'il faut qu'il fasse ? C'est inhérent à notre démarche. C'est comme moi, j'en ai tellement entendu sur mon compte, que les critiques, c'est le dernier de mes soucis.
Sur Le Plus, certains ont remis en cause sa modernité, l'ont comparé à Booba. Je ne vois pas très bien ce que ça veut dire. Je ne vois pas en quoi Booba serait moderne et en quoi Grand Corps serait ancien. Ça ne veut rien dire. C'est un homme de mots, et il va continuer à écrire ses mots. De toute façon Fabien ne raisonne pas du tout comme ça. Chacun crée ses mots, le son qu'il veut, chacun écrit ce qu'il a à écrire.
Et puis, ça voudrait dire quoi ? Que Léo Ferré serait ancien ? Moi je ne trouve pas. Je parcours la France avec ce qu'on appelle "la tradition orale", et je peux vous dire qu'au fin fond de la France les gens sont extrêmement émus et plein de bonheur grâce à ses textes. Les gens aiment toujours les mots, ils aiment toujours les phrases.
Paris n'est pas la France
C'est le microcosme parisien qui dit le contraire. La semaine dernière j'étais à Vannes, deux soirs de suite, et les salles sont toujours archicombles, les gens sont heureux.
C'est à Paris qu'on dit que ce n'est plus à la mode. Mais Paris, ce n'est pas important dans la création, ce qui est important c'est la province, les anonymes. C'est à Paris qu'on est toujours en train de mettre une étiquette aux gens, et moi j'ai beaucoup de mal avec ça.
Il y a une journaliste qui est venue jusqu'en Bretagne, là où on faisait les premières représentations, et qui m'a dit d'une façon vachement pénétrée: "Alors, vous rodez le spectacle pour Paris ?"
Je lui ai répondu : "Quel mépris vous avez. On ne rode pas, on est là pour les gens".
De belles collaborations
Ce qui m'a surtout plu, c'est de travailler avec Fabien, évidemment, et Ibrahim Maalouf (qui a produit et réalisé le quatrième opus de Grand Corps Malade, ndlr). "Funambule", c'est un album qui a une tenue musicale magnifique et il y a quelques morceaux tout à fait formidables.
Mais travailler avec d'autres jeunes artistes ? Je n'en sais rien, c'est au hasard des rencontres, et même si cela arrivait, je ne suis pas sûr d'en avoir envie. C'est très particulier avec Grand Corps, c'est une vraie démarche, il y a beaucoup d'estime mutuelle. Depuis des années j'aime son travail, j'aime sa quête.
Paroles:
Eh Tonton, est-ce que t’as regardé dehors ?
Sur l’avenir de nos enfants il pleut de plus en plus fort
Quand je pense à eux pourtant, j’aimerais chanter un autre thème
Mais je suis plus trop serein, je fais pas confiance au système
Ce système fait des enfants mais il les laisse sur le chemin
Et il oublie que s’il existe, c’est pour gérer des êtres humains
On avance tous tête baissée sans se soucier du plan final
Ce système entasse des gosses et il les regarde crever la dalle
Tonton on est du bon côté mais ce qu’on voit, on ne peut le nier
J’ai grandi au milieu de ceux que le système a oubliés
On vit sur le même sol mais les fins de mois n’ont pas le même parfum
Et chaque année monte un peu plus la rumeur des crève-la-faim
Le système a décidé qu’y avait pas de place pour tout le monde
Tonton, t’as entendu les cris dehors, c’est bien notre futur qui gronde
Le système s’est retourné contre l’homme, perdu dans ses ambitions
L’égalité est en travaux et y’a beaucoup trop de déviations
Eh Tonton on va faire comment ?
Dis-moi Tonton, on va faire comment ?
Est-ce que les hommes ont voulu ça, est-ce qu’ils maîtrisent leur rôle
Ou est-ce que la machine s’est emballée et qu’on a perdu le contrôle
Est-ce qu’y a encore quelqu’un quelque part qui décide de quelque chose
Ou est-ce qu’on est tous pieds et poings liés en attendant que tout explose
Difficile de me rassurer Tonton, je te rappelle au passage
Que l’homme descend bel et bien du singe pas du sage
Et c’est bien l’homme qui regarde mourir la moitié de ses frères
Qui arrache les derniers arbres et qui pourrit l’atmosphère
Y’a de plus en plus de cases sombres et de pièges sur l’échiquier
L’avenir n’a plus beaucoup de sens dans ce monde de banquiers
C’est les marchés qui nous gouvernent, mais ces tous ces chiffres sont irréels
On est dirigé par des graphiques, c’est de la branlette à grande échelle
Eh Tonton, on va faire comment, tu peux me dire ?
Comme il faut que tout soit rentable, on privatisera l’air qu’on respire
C’est une route sans issue, c’est ce qu’aujourd’hui, tout nous démontre
On va tout droit vers la défaite dans cette course contre la honte
Eh Tonton on va faire comment ?
Dis-moi tonton, on va faire comment ?
Entre le fromage et le dessert, tout là-haut dans leur diner
Est-ce que les grands de ce monde ont entendu le cri des indignés
Dans le viseur de la souffrance, y’a de plus en plus de cibles
Pour l’avenir, pour les enfants, essayons de ne pas rester insensibles
[Couplet 2 : Richard Bohringer]
Ma petite gueule d’amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
On va rien lâcher, on va aimer
Regarder derrière pour rien oublier
Ni les yeux bleus ni les regards noirs
On perdra rien, peut-être bien un peu
Mais ce qu’il y a devant, c’est si grand
Ma petite gueule d’amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
T’as bien le temps d’avoir le chagrin éternel
S’ils veulent pas le reconstruire le nouveau monde, on se mettra au boulot
Il faudra de l’utopie et du courage
Faudra remettre les pendules à l’heure, leur dire qu’on a pas le même tic tac
Que nous, il est plutôt du côté du coeur
Fini le compte à rebours du vide, du rien dedans
Ma gueule d’amour, mon petit pote d’azur
Il est des jours où je ne peux rien faire pour toi
Les conneries je les ai faites, et c’est un chagrin qui s’efface pas
Faut pas manquer beaucoup pour plus être le héros, faut pas beaucoup
Je t’jure petit frère, faut freiner à temps
Va falloir chanter l’amour, encore plus fort
Y’aura des révolutions qu’on voudra pas
Et d’autres qui prennent leur temps, pourtant c’est urgent
Où est la banque il faut que je mette une bombe
Une bombe désodorante, une bombe désodorante pour les mauvaises odeurs du fric qui déborde
Pas de place pour les gentils, pour les paumés de la vie
Chez ces gens-là, on aime pas, on compte
Ma petite gueule d’amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
P’tit frère, putain, on va le reconstruire ce monde
Pour ça, Tonton, faut lui tendre la main
Tonton, il peut rien faire si t’y crois pas
Alors faudra se regarder, se découvrir, jamais se quitter
On va rien lâcher
On va rester groupé
Y’a les frères, les cousines, les cousins, y a les petits de la voisines
Y’a les gamins perdus qui deviennent des caïds de rien
Des allumés qui s’enflamment pour faire les malins
Y’a la mamie qui peut pas les aider, qu’a rien appris dans les livres
Mais qui sait tout de la vie
À force de ne plus croire en rien, c’est la vie qui désespère
Faut aimer pour être aimé
Faut donner pour recevoir
Viens vers la lumière, p’tit frère
Ta vie c’est comme du gruyère, mais personne te le dis que tu as une belle âme
Ma petite gueule d’amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
On va rien lâcher
On va aimer regarder derrière pour rien oublier